

NOIR EST LE FEU
Christian Lapie, un cheminement
C'est le portrait d’un volcan déguisé en colline. Sous des dehors de notable policé, une force vive vous fait face, tranquillement. Pas un de ces artistes à la sensibilité bruyante, mais plutôt un de ceux qui savent créer des silences puissants et une œuvre qui « embarque ». Un truc qui vient des tripes, sourd et âpre. Ses sculptures ne sont pas de celles qu’on dispose ça ou là. Elles sont ici. Taiseuses, elles emplissent un espace plus grand qu’elles dans lequel on choisit d’entrer comme on choisit d’entamer une discussion.


Une enfance un peu à côté

Au départ, il y a un petit garçon qui semble s’être trompé de famille. On est en 1955, et, à Val-de- Vesle dans la Champagne pouilleuse, l’activité agricole occupe la plupart des foyers. Les fermes se transmettent de pères en fils, déroulant ainsi le fil des vies de générations en générations. Le petit garçon qu’est alors Christian Lapie comprend assez tôt qu’il va avoir du mal à s’inscrire dans cette normalité : il ne souhaite pas particulièrement reprendre l’exploitation agricole mais rêve au contraire d’un ailleurs… de quelque chose qui restera flou jusqu’à ce jour de 1970 où il fait la rencontre de l’œuvre de Soulages. Il perçoit que l’ouverture sur le monde à laquelle il aspire se trouve par ici et que la vie vaudra largement d’être vécue, si elle est passée à générer des émotions comme le faisait le maître de Sète.
Cette idée le maintiendra en tension jusqu’à son entrée aux Beaux-Arts de Reims, puis aux Beaux-Arts de Paris. Classé parmi les premiers aux concours d’entrée, il quittera les cycles d’études quasiment achevés, mais sans diplôme, dans les deux cas. Que faire d’un diplôme, puisqu’il est sans objet de certifier une âme d’artiste ?
Une galerie très sérieuse propose déjà ses œuvres à la vente avant qu’il ne quitte les Beaux-Arts. Il pratique à l’époque une peinture figurative teintée d’une approche conceptuelle : nature morte blanche sur fond blanc, un peu à la façon d’un Morandi. Mais il sent qu’il aura vite fait le tour de ce travail, qui ne vient pas du cœur. Il lui faut retourner à la source, puiser dans quelque chose de tangible : ses racines, ce village brutalisé par l’histoire, celle de la guerre et des tranchées. Il y a aussi cette église romane, qui le fascine depuis toujours. Et la lumière. Un lien invisible unit ces sentiments, un fil à tirer dont il pense que son œuvre peut être le catalyseur.

en quête de soi
Il installe dans un coin de grange une chambre et un petit atelier. Et il travaille. Une vie de recherche opiniâtre augmentée de petits boulots alimentaires : cuisinier, ouvrier agricole, peintre en enseigne… C’est un temps de recherche intranquille. On devine la sourde angoisse en toile de fond de celui qui sait clairement où est son destin, tout en sachant clairement qu’il n’en a pas trouvé la voie.
Il décide de se consacrer au paysage, celui qui est là et celui qu’on ne voit pas, qu’il veut faire remonter en expérimentant des matériaux plus bruts comme la rouille et la cendre. Il se fait prêter par l’armée toute proche un immense hangar dont il fait son nouvel atelier et commence à exister un peu plus dans le paysage artistique en participant à une exposition qui fait le tour de la France sur les représentants de la nouvelle peinture française. Il est aussi identifié par l’institution et trouve sa place en tant qu’artiste reconnu.
On est en 1990, il vit maintenant à peu près de son art, mais il sait qu’il n’a pas encore trouvé sa vraie voie. Il a un besoin urgent de revenir à la source de la source. Un besoin d’essentiel, qu’il atteindra avec l’aide du feu.


Avec l'aide du feu
En entretenant un feu dans sa cheminée un jour d’hiver, il avise une bûche consumée qui semble dessiner une silhouette. Il l’extrait du foyer, et l’arrange un peu avec un tisonnier : la toute première de ses figures apparaît devant lui. Il reproduit avec les moyens du bord, et sans aucune expertise, d’autres figures sur le même schéma dans les heures et les jours qui suivent, et très vite les associe en groupes. Ça fonctionne. Quelques jours plus tard, un galeriste bâlois de passage tombe dessus et décide de l’emporter dans l’instant. Il la vendra quelques jours plus tard.
On est en 95, Christian Lapie a 40 ans, et pour la première fois, il se sent, avec ce travail, parfaitement en phase avec lui-même. Il produit quelque chose qui coche toutes les cases de ce qui lui importe : c’est lisible par tous, ça représente l’humain, c’est matériellement humble et réalisable avec peu et partout, c’est en lien avec quelque chose qui s’est passé, ça parle sans mots au plexus plutôt qu’à la tête, c’est puissant et plastiquement beau. Lui qui brulait depuis tant d’années de trouver le moyen de l’œuvre la plus juste a finalement trouvé sa voie dans un feu dont il est parvenu à fixer l’énergie dans un être de bois noirci.
Depuis cette date, Christian est devenu un explorateur de la brèche qu’il a ouverte, la déployant à grandeur d’arbre. Il chemine sur la piste apparue dans sa cheminée et fait de ses œuvres une voix, un outil de transmission. Elles sont son instrument. Grâce à elles nous sentons la présence des soldats tombés à la caverne du Dragon, l’esprit indicible d’un lieu, ou la présence floue d’âmes oubliées. Elles agissent comme des passeurs entre maintenant et ailleurs, entre ici et avant. Le mot « transcendance » est dans l’air en les observant. Il revient souvent dans la bouche de Christian.


NOIR EST LE FEU
Christian Lapie, un cheminement
C'est le portrait d’un volcan déguisé en colline. Sous des dehors de notable policé, une force vive vous fait face, tranquillement. Pas un de ces artistes à la sensibilité bruyante, mais plutôt un de ceux qui savent créer des silences puissants et une œuvre qui « embarque ». Un truc qui vient des tripes, sourd et âpre. Ses sculptures ne sont pas de celles qu’on dispose ça ou là. Elles sont ici. Taiseuses, elles emplissent un espace plus grand qu’elles dans lequel on choisit d’entrer comme on choisit d’entamer une discussion.



Une enfance un peu à côté
Au départ, il y a un petit garçon qui semble s’être trompé de famille. On est en 1955, et, à Val-de- Vesle dans la Champagne pouilleuse, l’activité agricole occupe la plupart des foyers. Les fermes se transmettent de pères en fils, déroulant ainsi le fil des vies de générations en générations. Le petit garçon qu’est alors Christian Lapie comprend assez tôt qu’il va avoir du mal à s’inscrire dans cette normalité : il ne souhaite pas particulièrement reprendre l’exploitation agricole mais rêve au contraire d’un ailleurs… de quelque chose qui restera flou jusqu’à ce jour de 1970 où il fait la rencontre de l’œuvre de Soulages. Il perçoit que l’ouverture sur le monde à laquelle il aspire se trouve par ici et que la vie vaudra largement d’être vécue, si elle est passée à générer des émotions comme le faisait le maître de Sète.
Cette idée le maintiendra en tension jusqu’à son entrée aux Beaux-Arts de Reims, puis aux Beaux-Arts de Paris. Classé parmi les premiers aux concours d’entrée, il quittera les cycles d’études quasiment achevés, mais sans diplôme, dans les deux cas. Que faire d’un diplôme, puisqu’il est sans objet de certifier une âme d’artiste ?
Une galerie très sérieuse propose déjà ses œuvres à la vente avant qu’il ne quitte les Beaux-Arts. Il pratique à l’époque une peinture figurative teintée d’une approche conceptuelle : nature morte blanche sur fond blanc, un peu à la façon d’un Morandi. Mais il sent qu’il aura vite fait le tour de ce travail, qui ne vient pas du cœur. Il lui faut retourner à la source, puiser dans quelque chose de tangible : ses racines, ce village brutalisé par l’histoire, celle de la guerre et des tranchées. Il y a aussi cette église romane, qui le fascine depuis toujours. Et la lumière. Un lien invisible unit ces sentiments, un fil à tirer dont il pense que son œuvre peut être le catalyseur.

en quête de soi
Il installe dans un coin de grange une chambre et un petit atelier. Et il travaille. Une vie de recherche opiniâtre augmentée de petits boulots alimentaires : cuisinier, ouvrier agricole, peintre en enseigne… C’est un temps de recherche intranquille. On devine la sourde angoisse en toile de fond de celui qui sait clairement où est son destin, tout en sachant clairement qu’il n’en a pas trouvé la voie.
Il décide de se consacrer au paysage, celui qui est là et celui qu’on ne voit pas, qu’il veut faire remonter en expérimentant des matériaux plus bruts comme la rouille et la cendre. Il se fait prêter par l’armée toute proche un immense hangar dont il fait son nouvel atelier et commence à exister un peu plus dans le paysage artistique en participant à une exposition qui fait le tour de la France sur les représentants de la nouvelle peinture française. Il est aussi identifié par l’institution et trouve sa place en tant qu’artiste reconnu.
On est en 1990, il vit maintenant à peu près de son art, mais il sait qu’il n’a pas encore trouvé sa vraie voie. Il a un besoin urgent de revenir à la source de la source. Un besoin d’essentiel, qu’il atteindra avec l’aide du feu.


Avec l'aide du feu
En entretenant un feu dans sa cheminée un jour d’hiver, il avise une bûche consumée qui semble dessiner une silhouette. Il l’extrait du foyer, et l’arrange un peu avec un tisonnier : la toute première de ses figures apparaît devant lui. Il reproduit avec les moyens du bord, et sans aucune expertise, d’autres figures sur le même schéma dans les heures et les jours qui suivent, et très vite les associe en groupes. Ça fonctionne. Quelques jours plus tard, un galeriste bâlois de passage tombe dessus et décide de l’emporter dans l’instant. Il la vendra quelques jours plus tard.
On est en 95, Christian Lapie a 40 ans, et pour la première fois, il se sent, avec ce travail, parfaitement en phase avec lui-même. Il produit quelque chose qui coche toutes les cases de ce qui lui importe : c’est lisible par tous, ça représente l’humain, c’est matériellement humble et réalisable avec peu et partout, c’est en lien avec quelque chose qui s’est passé, ça parle sans mots au plexus plutôt qu’à la tête, c’est puissant et plastiquement beau. Lui qui brulait depuis tant d’années de trouver le moyen de l’œuvre la plus juste a finalement trouvé sa voie dans un feu dont il est parvenu à fixer l’énergie dans un être de bois noirci.
Depuis cette date, Christian est devenu un explorateur de la brèche qu’il a ouverte, la déployant à grandeur d’arbre. Il chemine sur la piste apparue dans sa cheminée et fait de ses œuvres une voix, un outil de transmission. Elles sont son instrument. Grâce à elles nous sentons la présence des soldats tombés à la caverne du Dragon, l’esprit indicible d’un lieu, ou la présence floue d’âmes oubliées. Elles agissent comme des passeurs entre maintenant et ailleurs, entre ici et avant. Le mot « transcendance » est dans l’air en les observant. Il revient souvent dans la bouche de Christian.
